Conquis à juste titre par la cuisine du Maroc vous voilà parti en quête du Saint Tajine, ou bien de retour de voyage vous êtes en proie à l’indécision : utiliser ou ne pas utiliser ce magnifique tajine que vous avez réussi à rapporter intact. Tout cela vaut bien quelques explications.
D’abord la cuisine du Maroc est l’une des plus riches du monde, c’est entendu. Mais lorsqu’on lit des recettes de tajines traditionnels on est bien loin de ce que l’on entend aujourd’hui par cuisson à basse température et c’est tout à fait normal. Les cuisiniers de nos royales couronnes ne faisaient pas non plus dans la dentelle côté température de cuisson, et ce pour la même raison : la qualité de l’eau et l’absence de réfrigérateur ! Aujourd’hui, pour nous il s’agit d’une chose banale mais il n’en a pas toujours été ainsi et l’accès à une eau potable de qualité n’est toujours pas la règle universelle ; quant à la conservation des aliments c’est surtout pour la viande que se pose le problème. Or tout cela impose des températures de cuisson plus élevées que celles que nous pouvons nous permettre aujourd’hui dans nos pays nantis. Dans un registre proche, les épices avaient pour fonction de masquer certains goûts disons un peu trop prononcés, ça c’est universel.
Dans ce contexte, le couvercle du tajine (souvent percé à son sommet) est une idée géniale, c’est une véritable cheminée de condensation qui brasse les arômes. Mais c’est une trouvaille qui a perdu sa raison d’être même si l’usage de cuire plus fort que nécessaire perdure. Et lorsque l’on voit à quelle température cuisent nos chers restaurateurs sur des foires et salons bio on se dit que c’est une habitude bien partagée même si dans ce cas on comprend bien la nécessité d’aller vite et d’attirer le client, mais côté éducatif c’est plutôt raté.
Alors, tajine or not tajine ? Est-ce que n’importe quel plat ou cocotte en terre cuite peut faire l’affaire ? Devant l’engouement du public, chacun y est allé de son plat à tajine, que ce soit en poterie ou en fonte, idem pour les woks tant qu’à faire. Jusqu’à la Chamba en Colombie où lors de notre visite en 2009 les potiers pensaient qu’il s’agissait d’un modèle japonais ! Nous ne suivrons pas cette tendance car à nos yeux, sortis de leur contexte, pour les raisons données ci-dessus, le couvercle spécifique du plat à tajine n’apporte rien pour faire un bon tajine. Ce qui compte avant tout c’est la qualité de la terre cuite qui doit être au minimum celle d’un plat à four et si possible supporter une source de chaleur, avec un diffuseur sur le gaz si nécessaire (cf. article à ce sujet). Pour nos cocottes en terre cuite noire, nous avons essayé de faire des couvercles aussi près que possible du contenu tout en ayant une courbure compatible avec celle de la cocotte proprement dite afin de participer à la cuisson par son rayonnement, ce que ne peux pas faire un vrai couvercle de tajine. Et bien sûr nous préconisons de mijoter, c’est à dire qu’en soulevant le couvercle vous devez voir non pas un nuage de vapeur d’eau mais tout au plus quelques bulles crever la surface de votre préparation. Si vous pouvez compter un bon nombre de bulles à la fois vous êtes déjà bien au-delà de la température idéale de mijotage, ce qui peut se concevoir tout au début mais pas en régime de croisière, sinon ce n’est plus du mijotage.
Bien entendu on a pleinement le droit d’être conquis par la forme du plat à tajine et ce pour des tas de raisons. Dans ce cas, privilégiez un authentique plat à tajine fait dans les règles de l’art par de vrais artisans marocains. Cela se trouve, même en France, tout au moins dans les grandes villes et avec les mêmes garanties qu’une poterie européenne car le Maroc s’est aligné sur les normes internationales en matière de poterie culinaire. A ne pas confondre bien sûr avec un plat à tajine pour touriste ou de décoration. Evitez aussi les plats à tajine jetables proposés à un prix dérisoire. La qualité a un prix et ne demandez pas à un revendeur de vous faire en France les mêmes conditions qu’au Maroc ; comme nous, ce n’est certainement pas un bénévole et tout travail mérite une juste rétribution.