Ne pas confondre chaleur et température
Si les notions de chaleur et de température sont bien connues en physique, dans la vie courante il règne une certaine confusion qui reflète bien l’histoire de ce domaine de la physique. Il faut bien dire que ces deux notions ont tendance à se mordre la queue. La chaleur est tout simplement une forme d’énergie. L’unité est le Joule (J) ou dans certains domaines, comme dans les sciences de la nutrition, la calorie (1 cal = 4,18 J), définie comme la quantité de chaleur à apporter à 1 g d’eau à 20°C pour élever sa température de 1° C. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la température est une notion plus complexe que la chaleur. Pour faire simple disons que c’est une mesure de l’agitation interne d’un corps qui contient une certaine quantité de chaleur. Autrement dit, plus un corps est « chaud » plus il est capable de libérer de la chaleur ou inversement pour le maintenir à une certaine température, il faut dépenser une certaine quantité d’énergie. C’est le cas de tous les êtres vivants ou de la simple casserole d’eau que vous mettez à bouillir. Mais tous les corps ne vont pas réagir de la même manière, c’est là où intervient la capacité thermique massique (cf. Wikipedia ).
Capacité thermique massique
Considérons plusieurs échantillons de matériaux bien connus, à la même température initiale, soit 20°C. Puis plaçons les au contact d’une plaque chauffante de 100 W pendant 5 minutes. Pour simplifier nous supposerons que les pertes thermiques sont nulles. A la fin de l’expérience quelle est la température de nos différents échantillons que nous prendrons de même poids, soit 1 kg ? C’est là où intervient la capacité thermique massique Cp qui s’exprime en J/Kg/°C et représente l’énergie qu’il faut apporter à 1 kg de ce matériau pour élever sa température de 1 degré. Voici quelques valeurs de Cp et la température atteinte par nos différents échantillons en fin d’expérience :
Aluminium, pierres naturelles, poteries… : Cp=900 environ et T=53°C
Titane : Cp=520 et T=77°C
Inox, fer, fonte, nickel, chrome… : Cp=450 et T=87°C
Cuivre : Cp=380 et T=99°C
Or, plomb, platine, tungstène… : Cp=130 et T=250°C
Mais nous savons bien que les densités de ces différents matériaux sont très différentes, donc faisons maintenant la même expérience avec des échantillons de même volume, soit 1 litre ou 1 dm³. Nous devons maintenant faire intervenir la masse volumique ρ des différents matériaux qui s’exprime en kg/m³. Cette fois nous allons chauffer pendant 20 minutes au lieu de 5 de manière à mieux différencier les différents matériaux classés du plus léger au plus lourd :
Pierres naturelles, poteries : ρ=2500 ce qui donne 2,5 kg et T=72°C
Aluminium : ρ=2700 ce qui donne 2,7 kg et T=68°C
Titane : ρ=4500 ce qui donne 4,5 kg et T=72°C
Inox, fer, fonte : ρ=7800 ce qui donne 7,8 kg et T=54°C
Nickel : ρ=8900 ce qui donne 8,9 kg et T=50°C
Cuivre : ρ=8900 ce qui donne 8,9 kg et T=55°C
Plomb : ρ=11000 ce qui donne 11 kg et T=104°C
Or, tungstène : ρ=19000 ce qui donne 19 kg et T=68°C
Platine : ρ=21500 ce qui donne 21,5 kg et T=62°C
Surprise, lorsque l’on se base sur un volume donné et non plus sur un poids donné, le classement est complètement bouleversé. On distingue clairement un premier pôle continuité des matériaux naturels, de l’aluminium et du titane. Un second pôle est constitué par les matériaux ferreux, le cuivre et le nickel. Il n’y a guère que le plomb qui se détache nettement. On commence à comprendre pourquoi les semelles de récipients haut-de-gamme en inox contiennent une tranche d’aluminium ou de titane en sandwich.
Application à la conception d’une poêle
Supposons que l’on veuille faire des poêles avec les matériaux les plus courants en ustensiles culinaires (nous assimilerons la poêle à un disque de 20cm de diamètre). Il est bien évident qu’il faut prendre en compte les propriétés mécaniques afin de fabriquer des ustensiles qui ne se cassent pas ou ne se déforment pas trop facilement. Pour les besoins de la cause nous allons nous en tenir à des critère de bon sens sans faire de calculs compliqués. Ensuite nous reprendrons notre expérience précédente mais cette fois en ne chauffant que 5 minutes pour éviter d’atteindre de trop hautes températures.
Poterie : nous la savons sensible aux chocs accidentels, nous prendrons donc 1,2cm d’épaisseur, ce qui nous donne un poids de 0,75 kg et T=63°C
Aluminium : même renforcé ce métal est facilement déformable, pour une poêle d’entrée de gamme nous prendrons 2 mm d’épaisseur, ce qui donne 0,17 kg et T=216°C
Fer, Inox : peu sensible aux chocs mais peut se déformer donc pour une bonne qualité nous prendrons 2,5 mm d’épaisseur, ce qui donne 0,61 kg et T=128°C
Fonte : peu déformable mais fragile, par sécurité nous prendrons 8mm d’épaisseur, ce qui donne 1,95 kg et T=54°C
On obtient clairement 3 types de récipients :
– la fonte et la poterie qui atteignent péniblement les environs de 60°C
– la poêle en aluminium premier prix chauffe très vite, trop vite même : il faut être vigilant, quelques minutes suffisent sinon c’est garanti brûlé ! Néanmoins on comprend que cette aptitude à chauffer fort rapidement puisse séduire une certaine clientèle.
– les poêles en fer ou en inox (sans triple fond) atteignent environ 130°C. C’est chaud, mais nécessaire voire insuffisant pour certaines cuissons.
On peut discuter les valeurs des paramètres choisis mais cela ne changera pas fondamentalement le classement. On comprend facilement l’engouement pour les ustensiles en aluminium à une certaine époque : ultra-légers et chauffant très rapidement. A l’opposé, on comprend que la fonte soit à réserver aux sportifs ou tout au moins à celles et ceux dont les bras et les mains peuvent manipuler des ustensiles de plusieurs kilogrammes.
Finalement, sachant que l’aluminium brut ou revêtu n’est guère fréquentable, quelle solution retenir, sachant que chaque matériau a ses inconvénients et ses avantages ?
Tout dépend de ce que l’on veut faire de cette poêle. Les deux variables à prendre en compte sont la température de cuisson et le temps de cuisson (total lorsqu’il y a des cuissons successives comme pour des crêpes, par exemple). Plus il faudra monter à haute température, plus la cuisson sera brève, plus c’est en faveur du fer. Au contraire, plus la cuisson sera longue et à température modérée, plus la terre cuite et la fonte seront à privilégier. On ne parle ici que des mérites intrinsèques des différents matériaux, sans discuter des inconvénients avérés ou potentiels d’une cuisson à haute température.
Donc nous suggérons d’oublier la poêle en terre cuite pour les crêpes bretonnes qui classiquement sont cuites vers 230°C. Pour quelques crêpes, la poêle en fer ou en inox sera le meilleur choix car consommant moins d’énergie, mais la température sera délicate à stabiliser à cause du manque d’inertie. C’est pourquoi les crêpières professionnelles sont en fonte épaisse, fixe et indéformable ; elles sont longues à monter en température mais d’un usage plus confortable dans la durée. Notez que traditionnellement, en Afrique du Nord et sûrement ailleurs, les crêpes ou galettes sont faites sur une grande poêle en terre cuite conçue à cet usage. Cela dit, si le graissage d’une crêpière en fonte vous pose problème nous n’évoquerons pas la préparation de ces poêles en terre cuite (il s’agit donc de poteries sous-cuites destinées à fonctionner à haute température). Donc faute de fonte, la terre cuite est utilisable bien sûr mais les crêpes ne sont pas l’usage que nous mettons en avant pour nos poêles LJ.
La poêle en fer (ou inox) est certainement la plus versatile de toutes. Elle n’a pas la sensibilité de la fonte ou de la poterie aux chocs thermiques et mécaniques, elle monte relativement vite en température, elle peut monter à haute température (sans en abuser sinon gare aux déformations), etc. Quant à la poêle en fonte, à part une crêpière, elle satisfait probablement les amateurs de côte de boeuf, par exemple, sinon on peut toujours s’en servir d’haltère ou encore d’enclume ! On réservera la poêle en terre cuite à des cuissons sans surveillance à température modérée pour des mets que l’on ne veut pas surchauffer et intéressants à conserver au chaud un moment (plus longtemps que la fonte dans les mêmes conditions car les déperditions sont beaucoup plus faibles) et sans risque de brûlure en plat de service. L’idée est que le temps de montée en température soit raisonnable par rapport au temps de cuisson total. L’utilisation ce cette poêle est discutée dans un autre article.
Analogie avec la conception d’une maison
Cet exemple classique de conception d’un ustensile simple comme une poêle est en tous points similaire à celui de la conception d’une maison en ce qui concerne les aspects thermiques (bien entendu c’est un peu plus complexe, mais pour les besoins de l’analogie nous allons simplifier).
Supposons que vous vouliez faire construire une maison qui consomme aussi peu d’énergie que possible en fonction de l’usage auquel vous la destinez. S’il s’agit de votre résidence principale, vous allez privilégier des matériaux à forte inertie thermique de manière à obtenir un confort optimal pendant toute la saison froide à moindre frais. Principal inconvénient, si vous vous absentez longtemps en hiver et si vous baissez le chauffage en votre absence, à votre retour il va vous falloir un certain temps pour retrouver votre confort.
Supposons maintenant qu’il s’agisse d’une maison de vacances à la montagne, que vous utiliserez tout au plus une ou deux fois une semaine en hiver et peut-être quelques fin de semaines de 2 ou 3 jours, toujours par des températures extérieures froides. Dans ce cas inutile de dépenser une fortune en matériaux à forte inertie thermique car le temps nécessaire pour atteindre une impression de confort sera trop long par rapport à la durée de votre séjour (surtout sur 2 ou 3 jours) et l’énergie dépensée sera en bonne partie inutilisée car vous n’aurez pas le temps d’en profiter. Donc en termes d’économie d’énergie et de confort il vaut mieux une construction légère (sans pour autant négliger l’isolation extérieure), vite chaude et aussi vite froide mais pour cet usage c’est acceptable.
Le premier cas correspond bien sûr à une poêle en fonte ou en poterie. Disons que la fonte serait le cas absurde d’une maison dans laquelle il fait bon vivre, avec peu de variations de température, mais avec une isolation extérieure déplorable qui entraine une consommation d’énergie excessive car obligeant à maintenir la température des murs à un niveau élevé (murs très épais mais conducteurs !). La poterie correspondrait quant à elle à des murs en terre et bois, à forte inertie thermique et avec une bonne isolation extérieure. Le second cas correspond à une poêle en fer, vite chaude (c’est ce qu’on lui demande) et vite froide (c’est sans importance).
Pour faire le bon choix il faut donc bien comprendre quels sont nos besoins. Et il n’y a pas de bons ou de mauvais matériaux mais plutôt des matériaux adaptés ou non à nos besoins.