Intérêt de la poterie noire
La poterie noire de Molelos est un concentré de propriétés uniques dans le monde de la poterie culinaire.
Le polissage manuel est une étape longue et très technique, le plus souvent l’apanage des femmes. En effet, il s’agit fermer les surfaces de manière homogène, mais sans excès. On préserve ainsi une micro-porosité de surface (rugosité imperceptible de la surface). Cela contribue à protéger les aliments de la chaleur des parois par une humidité superficielle. Ce film d’eau joue un peu le même rôle que l’huile dans une poêle. C’est tout le contraire d’un verre ou d’une poterie émaillée qui assèchent les aliments. Le polissage contribue également à renforcer les surfaces, c’est un effet mécanique. Un polissage sommaire donnerait une porosité excessive comme dans une poterie primitive. Tandis qu’un polissage excessif fermerait trop la surface en laissant inévitablement des défauts. Dans les deux cas on se retrouverait avec les inconvénients classiques des poteries brutes ou émaillées.
Ce changement de couleur contribue également au durcissement des surfaces d’où une meilleur résistance à l’usure. Mais il s’en suit aussi une meilleure conductivité de surface permettant une bonne homogénéisation de la chaleur. Enfin, cerise sur le gâteau, la plupart des poteries noires, même les plus rustiques, sont connues pour ne pas transmettre de goûts ou d’odeurs d’une recette à l’autre. Cette propriété unique vient de l’enrichissement en carbone qui agit comme dans un filtre à air ou à eau.
Donc exit les cocottes qui se fendent sans raison apparente ou qui empestent l’huile rance. Par contre il est impossible de faire émerger de telles propriétés sans la couleur noire. La nature en a ainsi décidé ! Mais en contrepartie, nous pouvons offrir une diversité de formes qu’un industriel de la poterie culinaire ne pourra jamais se permettre.
Origine de la poterie noire
Les poteries noires sont issues de poteries ancestrales et universelles qui ne se rencontrent plus qu’en quelques villages, ici et là. Surtout en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud, la plus connue étant celle de la Chamba en Colombie. Les techniques traditionnelles, parfaitement adaptées aux conditions de vie des peuples qui les utilisaient, n’ont que peu évolué dans l’ensemble. En Europe elles sont encore plus rares. Elles ont disparues de France il y a environ un siècle et il n’en restera bientôt plus en Espagne (déjà plus de poterie culinaire).
Le Portugal, dernier bastion de la poterie noire en Europe
Le Portugal fait un peu figure d’exception même s’il a suivi la tendance générale. Si la poterie noire était autrefois très répandue, aujourd’hui il ne reste que quelques potiers isolés et âgés. Ils continuent de produire une poterie noire très rustique, de Coimbra au nord du Portugal. A notre connaissance, il n’y a qu’à Molelos que l’on peut trouver plusieurs ateliers dans un mouchoir de poche.
C’est probablement une des raisons qui expliquent l’avance technique de ces potiers sur leurs collègues restés isolés et sans avoir bénéficié des mêmes formations professionnelles. A l’entrée du village, un panneau moderne égrène fièrement une liste de 9 ateliers. Mais aujourd’hui il n’en reste plus que 5. L’un des 4 absents a cessé son activité peu après notre première visite en 2010 et les autres sont partis à la retraite sans succession. C’est hélas ce qui risque fort d’arriver aux survivants actuels… Ce qui distingue la poterie noire de Molelos de toutes les autres c’est le fait que les mécanismes de ce changement de couleur ont été parfaitement compris il y a déjà quelques décennies. C’est ce qui a permis d’optimiser tout le processus de fabrication pour obtenir des poteries poteries noires haut de gamme.
La poterie noire de la Chamba (Colombie)
C’est l’exemple type de poterie noire rustique et le plus connu en Occident. Dans ce cas, il s’agit d’un « enfumage » bref et de contact assorti d’un retrait violent du four exactement comme pour le raku. C’est donc avant tout un effet de surface, dans ce cas dû uniquement à la réduction de l’oxyde de fer par un gaz réducteur (c’est à dire avide d’oxygène) produit par la combustion de débris végétaux finement tamisés.
La surface est badigeonnée avec une terre très riche en oxyde de fer. Si l’opération d’enfumage est bien menée, la poterie ressort d’un beau noir profond : du plus bel effet mais forcément fragile. De plus le mode opératoire est resté très primitif et produit beaucoup de déchets.
Pourquoi cette poterie est-elle noire ?
Un peu de chimie
La technique utilisée en Espagne et au Portugal est assez différente de celles des poteries primitives. D’une part les poteries ne sont pas engobées (avec une argile rouge en surface) mais de composition uniforme. Mais cette composition est variable, de très pauvre à très riche en oxyde de fer pour modifier la couleur après « enfumage » ; bien sûr cela a aussi d’autres effets. Pour cela, on doit fermer le four hermétiquement après la cuisson (5h à 850°C). La combustion du carburant (bois ou gaz) dans un atmosphère de plus en plus pauvre en oxygène dégage du monoxyde de carbone CO au lieu du dioxyde de carbone CO2 comme le fait notre respiration. Dans ce cas c’est CO qui est utilisé comme gaz réducteur, il se transforme en CO2 suivant deux mécanismes distincts dont chacun contribue à donner une couleur noire aux poteries :
- par dépôt et diffusion de carbone à l’intérieur des poteries encore poreuses et très chaudes :
2 CO → C + CO2
- par réduction de l’oxyde de fer Fe2O3 (la « rouille » de couleur rouge) en oxyde de fer Fe3O4 (magnétite de couleur noire) un million de fois plus conducteur que la rouille et d’une très grande dureté :
3 Fe2O3 + CO → 2 Fe3O4 + CO2
Un refroidissement confiné
C’est finalement dans la phase de refroidissement que se fait la poterie noire. Après 10-30h de refroidissement suivant la taille du four, on obtient un matériau composite aux propriétés physico-chimiques et mécaniques assez remarquables. Grâce au renfort du carbone C et de la magnétite Fe3O4 il allie la tolérance au feu d’une terre cuite réfractaire volontairement sous-cuite, sans sa porosité, à la solidité d’un vrai grès. Tout cela grâce à un procédé artisanal et écologique par nature. Il semble que l’effet rouille –> magnétite se manifeste principalement en surface, ce qui peut s’expliquer par la durée du contact entre les surfaces extérieures et le gaz réducteur. Or ce gain de conductivité superficielle joue très certainement un rôle important dans la résistance aux chocs thermiques, même mineurs. A cœur, c’est avant tout l’effet carbonisation qui prévaut, le gaz réducteur pénétrant la poterie lorsqu’elle est encore dilatée, ensuite cet effet va decrescendo. C’est ce qui donne la couleur grise plus ou moins foncée en volume.
Noir et noir
Cet effet n’intervient pour ainsi dire pas dans la technique de la Chamba. En effet, l’enfumage de contact ne se compte pas en heures mais en minutes, ce qui ne modifie que la surface. La couleur noire que l’on peut voir parfois à l’intérieur provient quant à elle de la carbonisation des matières organiques en suspension dans l’argile, lequel carbone a tendance à diffuser vers la surface. Les amateurs de poteries gallo-romaines connaissent bien ce profil typique.
Donc sous des apparences similaires, les poteries noires de la Chamba et de Molelos sont de deux types bien distincts. Pour simplifier, disons que celle de la Chamba est encore de type « primitif », c’est à dire terre cuite standard à cohésion faible mais dont les défauts internes évoluent très lentement. La poterie noire de Molelos est nettement plus proche du type « grès » à cohésion forte (et pour cause, c’est une pâte à grès, mais sous-cuite pour justement éviter une cohésion trop forte). Elle est donc plus difficile à endommager qu’une poterie rustique mais moins qu’un grès cuit à haute température (tout au moins vis à vis des chocs mécaniques). Par contre elle est moins tolérante aux fêlures d’origine mécanique ou thermique qu’une poterie rustique. C’est un dilemme bien connu avec n’importe quel matériau. On voudrait que l’initiation des fissures soit le plus difficile possible mais également leur propagation. Or c’est souvent antagoniste et faute de solution miracle, il faut choisir le meilleur compromis. Sur ce point là aussi, la poterie noire Oyera est un bon compromis.
L’unique poterie noire contemporaine
Ci-dessous on peut voir deux générations de fours dédiés à la fabrication de la poterie noire :
Four à bois
D’un volume utile d’environ 800 litres on en trouve dans tous les ateliers (ici celui de Antonio Marques). En bas on voit l’entrée du foyer alimenté en bois. Il s’agit de branches de petit diamètre ne convenant pas en tant que bois de chauffage domestique. A gauche on voit l’entrée du four proprement dit. Le fond du four (partie contre le mur du fond) ne sert qu’à la circulation de la chaleur qui doit pouvoir entourer le four, la sortie étant située en haut à l’aplomb de la porte.
Les potiers de Molelos sont très attachés à ce type de four à faible consommation de bois. Par contre sa capacité est faible et il impose une certaine surveillance pendant la cuisson. Les poteries obtenues présentent le plus souvent des différences de teinte caractéristiques avec des reflets métalliques. Si la cuisson s’emballe un peu, c’est à dire si la température dépasse la température optimale de quelques dizaines de degrés, la couleur obtenue risque d’être trop claire. En effet, le domaine optimal pour la carbonisation (le premier mécanisme décrit ci-dessus) est 500°C – 900°C or la température de cuisson est proche de la limite supérieure de cet intervalle. C’est la difficulté de la cuisson : s’approcher au plus près de cette limite mais sans l’atteindre.
Four à gaz
Celui mis au point par par Luis et José est équivalent à environ 4 fours à bois standard. Ce four est complètement automatisé avec deux circuits de gaz indépendants. Le circuit principal sert uniquement à la cuisson. Alors que le circuit secondaire, de faible débit, sert à la réduction pendant le refroidissement. La cuisson semble être en moyenne plus homogène. Mais la couleur précise n’est pas plus facile pour autant à contrôler qu’avec le four à bois standard. On voit sur le chariot qui va être poussé dans le four et que suivant l’usage, les poteries sont initialement blanches ou rouges.
La couleur dépend de l’usage prévu
Les pièces blanches sont utilitaires et faites essentiellement avec la terre réfractaire de Molelos. Si jamais la température s’approche un peu trop des 900°C fatidiques, il est probable qu’elles sortiront d’une couleur plutôt argentée (idem dans un four à bois, bien sûr). Les pièces décoratives sont plutôt rouges de manière à garantir une belle couleur noire après enfumage. Et si jamais il y a une infiltration d’air pendant le refroidissement, là encore la couleur noire ne sera pas au rendez-vous. C’est toujours la surprise à l’ouverture du four… Les pièces trop claires ont droit à une seconde cuisson pour corriger leur couleur.
La fermeture hermétique du four
Que ce soit avec le four à bois ou le four à gaz, le changement de couleur implique la fermeture hermétique du four en fin de la phase de cuisson proprement dite. Ceci permet d’épuiser l’oxygène dans le four tout en créant une athmosphère réductrice. Mais la fermeture des fours est une opération pénible et tout sauf une science exacte !
L’ouverture des fours a lieu environ 12h après la fin de cuisson pour le four à bois typique de Molelos (800 litres) à plus de 24h pour le grand four à gaz (3 m³). Malgré leurs différences de taille, les coûts de cuisson avec ces 2 fours sont proches. Mais il est incontestable qu’un grand four fait gagner du temps et diminue la pénibilité du travail. La durée du refroidissement joue également sur la robustesse des poteries.
Artisanat et industrie
Si on le rapporte à sa taille, le Portugal est indiscutablement un grand pays de poterie. Sans le savoir nous connaissons presque tous ces poteries de terre cuite émaillée de couleur orangée. Au Portugal, elles sont souvent accompagnées d’un petit décor blanc, contrairement à leurs homologues du sud de l’Espagne. Présente dans le moindre bar ou restaurant, elle est pour ainsi dire incontournable dans la cuisine portugaise, généreuse à souhait. Le coût de revient d’une cocotte industrielle vendue en supermarché à moins de 10€ est de l’ordre d’un euro. Alors qu’une cocotte Oyera requiert plus d’une heure et demie de travail ! Dans les bars et restaurants, la rareté de la poterie noire reflète bien cette énorme différence de prix. Si vous en avez l’opportunité, comparez l’état des récipients des deux types de poterie, c’est assez édifiant.
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